Résumé :
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Notablement organisés par les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) dans notre pays, les soins immédiats proposés après confrontation à un événement potentiellement psychotraumatique ont pu faire couler beaucoup d’encre entre ceux qui les adulent ou ceux qui les honnissent, autant dans la presse spécialisée qu’à travers les médias destinés au grand public. Pratique indispensable visant à traiter les blessures psychiques pour les uns, charlatanerie pourvoyeuse d’aggravation des symptômes post-traumatiques pour d’autres, les recommandations médico-psychologiques sont longtemps restées sibyllines devant l’absence d’études de niveau de scientificité suffisant. Trente ans après ses premières formalisations, aucune étude n’a proposé une synthèse critique de la notion de 'défusing'. Objectifs : Notre objectif principal est d’étudier le discours spécialisé concernant le 'défusing' tel que défini et relayé par les psychiatres et psychologues au sein des revues de langue française. Nous cherchons à identifier les étapes de la construction de ce temps de soins, la maturation de sa pratique par synthèse du 'défusing type' et, la théorisation de ses mécanismes thérapeutiques. Méthodes : Les articles de langue française publiés entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 2019 ont été sélectionnés à partir de l’inscription du mot-clef 'défusing' dans cinq moteurs de recherche ainsi que dans les thésaurus de la bibliothèque interuniversitaire de médecine et de la bibliothèque centrale du service de santé des armées. Les données extraites associent : le nombre d’article(s) par année de publication, les noms des revues et les auteurs (équipe de recherche, lieu d’exercice, statuts). Les titres, résumés et corps des textes ont été examinés par trois logiciels d’analyse du discours avec quantification des unités textuelles et facilitation de retour au texte par mot-clef. Résultats : Moins de 30 articles mentionnent la notion de 'défusing' au sein de la littérature francophone dont seulement deux dans leurs titres et finalement, aucune référence n’y est intégralement dédiée. Comparativement aux chapitres adjacents traitant de l’organisation des CUMP, de la clinique de l’urgence, et du débriefing, les articles référencés abordent peu la notion de 'défusing'. Si la conception de traumatisme psychique est vulgarisée par ses dimensions cliniques et étiopathogéniques (essentiellement psychopathologiques en faisant fi des aspects neurobiologiques ou socio-anthropologiques), la prise en charge immédiate n’est qu’esquissée (par ses développements organisationnels, théoriques et pratiques). Toutes ces notions s’avèrent abordées de manière segmentaire via des paragraphes adjacents sans liens évidents entre eux. Fort peu d’articulations sont avancées avec les concepts de psychiatrie ou de psychologie générale, ou encore l’inscription du défusing au sein d’une théorie globale de la psychothérapie. Matérialisant de nombreuses répétitions littérales d’un article à l’autre, la synthèse organisant les données qualitatives dégageant la définition pratique du défusing se découvre assez brève. Toutes références confondues, seules quelques phrases abordant succinctement les notions de recouvrement du langage et de capacités de niveaux de représentation peuvent nous éclairer sur les processus thérapeutiques supposés. En outre, certains espaces restent à peine abordés : peu de mentions de traumas familiaux, silence relatif concernant les spécificités chez l’enfant, absence d’étude scientifique intéressant l’efficacité du défusing. Discussion : Dans les textes référencés, si la part consacrée à l’organisation des soins est importante en volume, c’est qu’elle participe conceptuellement à l’apaisement par restitution d’un environnement permettant de s’extraire de la scène traumatique. Ensuite, l’apparente simplicité des concepts thérapeutiques dévoile en réalité des prérequis cardinaux : analyse clinique, ajustage permanent de la bonne distance relationnelle, capacité à recevoir la souffrance d’autrui, attention soutenue dans la durée, habileté technique notamment des mobilisations inter-transférentielles, aptitude à développer des facultés d’adaptation. L’attitude et les mots du praticien se basent avant tout sur ses expériences de l’analyse clinique et des soins psychothérapeutiques en général . Voilà sans doute la principale raison d’absence d’études scientifiques sur le défusing confrontant aux mêmes difficultés matérielles que l’évaluation des psychothérapies. Alors que seuls les facteurs non spécifiques d’efficacité des psychothérapies apparaissent aujourd’hui reconnus, au premier rang desquels la souplesse du praticien face à ses référentiels théoriques, serait-il possible de reconnaître des principes spécifiquement effectifs au traitement des symptômes post-traumatiques ? Conclusion : Si plusieurs auteurs rassemblent encore défusing et débriefing au point de parler de 'débriefing immédiat et post-immédiat', la confusion induite n’est peut-être que relative eu égard à des mécanismes thérapeutiques spécifiques visant à apaiser la dissociation. La parole constitue l’outil, le ciment permettant de combler les fractures dissociatives, de relier les espaces psychiques, neuropsychiques et sociaux naguère disjoints. Incitée, voire guidée par le praticien, cette parole thérapeutique mérite à être qualifiée de 'maïeutique', du nom de la science de l’accouchement : la pensée ne s’élabore ici pas antérieurement à son élocution, mais la parole inaugurale, au fur et à mesure qu’elle s’énonce, crée la pensée. En 'donnant' sa parole, en 'prêtant' son langage, le praticien écoute activement la personne blessée psychique et la guide à trouver les mots qu’elle n’est pas en capacité de prononcer spontanément. Grâce au développement d’un discours en partie commun, issu de l’intersubjectivité, se majorent les capacités d’élaborations et de mentalisations singulières, du côté du patient, et du côté du praticien, sans que les sens créés soient nécessairement les mêmes. [Résumé d'auteur]
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